Le compte personnel de formation des salariés sera alimenté en espèces sonnantes et trébuchantes. Rien d’une super cagnotte.
À partir de 2020, chaque salarié verra son compte personnel de formation (CPF) crédité de 500 euros par an, et ce jusqu’à un plafond de 5000 euros. Les moins qualifiés auront droit à 800 euros par an (jusqu’à 8000 euros). La réforme emmenée par Muriel Pénicaud a des arguments pour séduire ! Jusqu’ici, le CPF était abondé en heures. Au printemps 2018, 5,7 millions de comptes étaient ouverts.
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« Deux personnes m’ont déjà demandé comment récupérer l’argent, raconte Yves Hinnekint, directeur général de l’organisme Opcalia. L’un souhaitait s’offrir un billet d’avion pour son pays d’origine, l’autre refaire sa cuisine. J’ai dû leur expliquer que cela ne fonctionnait pas comme cela ! » Effectivement, il ne s’agit pas d’un chèque du père Noël, pour un petit plaisir. Les fonds doivent servir à s’inscrire à une (ou des) formation(s), rien d’autre.
Il va y avoir d’autres désillusions au moment de la bascule vers le nouveau dispositif, en 2020. Admettons qu’un individu ait, sur son CPF actuel, cumulé le maximum de droits, soit 150 heures. En toute logique, il s’attend à ce que celles-ci soient converties en 5000 euros, dans le CPF nouvelle version. Et bien non. Le taux de conversion de l’heure étant fixé a priori autour de 14 euros, il sera bénéficiaire de seulement 2100 euros (14 X 150). « Ce taux a été choisi par prudence budgétaire, au cas où les demandes de formation exploseraient, explique Natanaël Wright, président de l’organisme de formation Wall Street English. Un conseil, mobilisez vos droits restants sans attendre, pour ne pas les perdre ! »
Une palette de formations pas si riche
Que pourra-t-on s’offrir avec l’argent mis à disposition ? Pas de cours de guitare ou de jardinage. Pas d’enseignement à la gestion du stress non plus, sauf à ce que cette thématique fasse partie d’un cursus plus large sur le management. La formation aura en effet forcément un but « professionnel ». Mais les horizons s’élargissent tout de même. Les fameuses listes dans lesquelles il fallait obligatoirement piocher vont être supprimées.
Tout un chacun aura donc accès à un large panel de diplômes et certifications dans tous les domaines. Sans compter, comme auparavant, la validation des acquis de l’expérience (VAE), lebilan de compétence, les formations à la création d’entreprise, et le permis de conduire. « Il y a aura aussi des moocs, et cela, c’est une révolution », signale Olivier Faron, administrateur général du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
Dans les faits, il faudra souvent, pour arriver à couvrir le coût de la formation, mettre la main à la poche, ou bien réussir à embarquer son employeur dans un co-financement, si son projet correspond aux priorités stratégiques de l’entreprise. Pour les personnes ayant besoin d’une formation très longue, liée à un vrai virage professionnel, il existera un système parallèle, remplaçant le congé individuel de formation (CIF) : le CPF transition. Les zones d’ombre sont nombreuses, à son sujet. On ignore, notamment, quels moyens financiers lui seront dédiés, et combien de personnes pourront en bénéficier.
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À cause de la réforme, y a-t-il un risque que les tarifs s’envolent? Certains syndicats ont fait part de leurs inquiétudes. « Si le salarié dispose de 2000 euros, la formation, comme par hasard, coûtera 2000 euros, et pas 1000 », ironisait encore récemment Jean-Claude Mailly, l’ex-patron de Force Ouvrière (FO). Difficile cependant de croire à cette menace. Comment un prestataire pourrait faire varier les prix à la tête du client, puisque ce dernier passera par un site ou une application pour réserver sa formation et que les prix y seront fixes, comme dans un catalogue ?
Le jeu de la concurrence devrait de toute façon prévenir toute tendance inflationniste La régulation des prix doit par ailleurs être assurée en haut lieu par France Compétences, la nouvelle instance qui va chapeauter tout le système.
Le conseil en évolution professionnelle pour ne pas se tromper
L’application, est, à côté de la « monétarisation » du CPF, l’autre grande innovation de la réforme. Il s’agit de pouvoir réserver sa formation « en un clic », depuis son smartphone. Cette « désintermédiation » interroge. Tous les individus auront-ils la clairvoyance de miser sur l’offre la plus adaptée à leur profil et leurs aspirations? Pour s’assurer de son bon choix, il sera possible de solliciter un conseil en évolution professionnelle(CEP). Depuis sa création en 2014, ce service n’a pas rencontré grand succès. Selon l’Insee, seuls 8 % des actifs le connaissent. L’exécutif, qui martèle combien l’accompagnement des personnes est important, tient à en faire une pierre angulaire du système.
Quid des arnaques? Pour Yves Hennekint, ce sont surtout les « formations tablettes » qui sont à craindre. L’individu s’inscrit à une formation bidon, et, en retour, reçoit un petit joujou high tech, ou une partie de la somme empochée par l’organisme. Une manoeuvre, assure le spécialiste, à la mode à l’époque du droit individuel à la formation (DIF), ancêtre du CPF.
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Le ministère du Travail, lui, assure qu’il y aura une certification des organismes, pour assurer de leur sérieux et leur qualité. Selon quels critères ? « Nous comptons un petit nombre de margoulins dans notre métiers et il va falloir que l’État fixe des normes et demande aux prestataires de montrer patte blanche, insiste Natanaël Wright. Si le filtre est bien fait au départ, il y aura moins de risque qu’un renard se balade dans le poulailler. » Et que des salariés malchanceux y perdent des plumes.
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